mardi 19 juin 2012

> Morvandiau en campagne

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Morvandiau ("chercheur en sciences hypercognitives et intericoniques à l’université de Vézin-le-Coquet")a un programme pour la France. Dommage que nous n’en ayons guère entendu parler dans les feux de nos récentes campagnes. Nous connaissions déjà quelques autres opuscules stimulants de la Marwanny Corporation qui, nous rappelle-t-on dans les premières pages de l’ouvrage, promeut depuis 2007 "le développement personnel sans douleur", et à laquelle on doit ce dernier petit bijou d’humour décalé et décapant. Une anonyme société et un comix-éditeur que nous avions déjà vu à l’œuvre dans quelques brillantes parodies de méthodes dernier cri  pour s’auto-coacher à toutes les sauces. Rappelons quelques titres aux programmes ambitieux tels que Niquer les autres (autrement dit Communiquer efficacement avec les autres) ou Winner ensemble. Sans oublier le savoureux Plan social, remake décomplexé (avant l’heure…) du Monopoly, un jeu de société où les parties se gagnent au nombre maximum de licenciements et de délocalisations.
Cette fois on franchit un cap. Il s’agit d’un programme pour la France, celui de Morvandiau. Un programme en 40 points et autant d’illustrations. Le tout constitue un petit livret à la couverture bleu-blanc-rouge, vendu pas cher, et qu’il faut impérativement se procurer… D’autant que l’on peut  être à peu près sûr que ce programme sera encore largement d’actualité lors des prochaines présidentielles.


Le principe est simple, mais il est joliment exploité. On emprunte à l’univers politique des termes et des expressions figées qui relèvent de champs divers : le social, l’économique, l’environnemental… On "shake" bien tout cela et on nous sert, verre par verre, une quarantaine de cocktails détonants.  Le résultat pourrait n’être que hasardeusement déjanté, les illustrations d’une loufoquerie débridée. Une bonne blague entre copains anars sous acide. Mais l’on obtient pourtant une série de slogans qui, s’ils frôlent souvent l’absurde, sont pourtant beaucoup plus drôles et subtils. On ne saura jamais si les combinaisons furent ou non aléatoires mais le fait est qu’elles titillent souvent le sens. Les mots, ainsi drôlement arrangés, rebondissent comme des balles de squash sur les murs de notre conscience politico-médiatique abrutie de concepts préfabriqués.
Le sous-titre de ce programme, avec ses faux airs de synthèse, en donne le la :
Pour une gouvernance impactée en bon père de famille
Parfois, ça sonne clair, on pourrait croire à un simple exercice d’ironie contestataire, à une forme de dénonciation masquée. C’est L’enfance maltraitée garantie par la constitution (1) ou encore le Patriotisme à vie pour les primo-accédants multi-récidivistes (6). On pourrait, quelque part, entendre un discours derrière l’effet d’humour.
Mais l’enjeu n’est pas tant dans la délivrance d’un quelconque message que dans la mise à nu de cette grammaire de la langue de bois qui fait notre pain quotidien. L’alphabet du jargon politique est pris à contre-pied, passé joyeusement et délicatement au mixeur jusqu’à ce que l’on puisse enfin entendre sa musicalité profonde : il sonne creux…
Droit de vote à mobilité réduite pour tous les radars (7)
Alphabétisation des frontières avec plus de 80% des suffrages fiscaux (20)
Une politique familiale en faveur des congés parentaux enrichis à l’uranium (9)
Téléchargement légal du recours à la force (29)
Peu à peu on se laisse prendre dans les filets de sens, de faux-sens et de contre-sens de ces effets d’annonces enfilées comme des perles.
L’autre intérêt de ce programme morvandiesque réside dans les illustrations qui accompagnent les slogans. Les dessins sont sobres, leur  trait classique. On est beaucoup plus près du croquis réaliste que de la caricature ou du non-sense illustré. Quelques possibles visages connus refont de temps à autre surface, un peu par hasard et parfois sans rapport d’intention particulier avec le slogan retenu. Comme s’il s’agissait juste de nous raccorder vaguement à l’arrière-plan familier dont provient ce magma de mots pour tout dire et ne rien dire : ici un ancien président, là une chanteuse de Mille colombes, ailleurs une académicienne… Pourtant les visages ne sont jamais si proches que lorsqu’ils sont anonymes. On croirait les avoir déjà vus , les reconnaître. On se promène de l’autre côté du miroir, mais pas très loin, sur une scène où les mots ont été un peu secoués, mais où les formules qui surgissent n’ont parfois guère moins de sens que celles qu’on nous rabâche à longueur de campagne.
Et toutes les promesses sont à nouveau possibles, comme, pourquoi pas, la garantie d’un taux à visage humain…  Celle-là, on jurerait l’avoir déjà entendue quelque part...









Morvandiau, Mon programme pour la France. Marwanny Corporation. 2012 

Images : 1) Foin (source) / 2-3) Morvandiau

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